Contre ma poitrine
La place qu'avait ta tête
Est demeurée libre
Dominic Deschênes, 2003, Reste ce qu'on l'on perd, Editions du Sablier
La Librairie AMK
présente
une exposition-vente
permanente
des gravures de
Bernadette
Planchenault
et de
Ilona Kiss
des dessins aquarellés de
Séverine Maréchal
et des collages et encres de
Bruno Lanza
et
Leandro Figueiredo
Contre ma poitrine
La place qu'avait ta tête
Est demeurée libre
Dominic Deschênes, 2003, Reste ce qu'on l'on perd, Editions du Sablier
Je m’appuierai si bien et si fort à la vie,
D’une si rude étreinte et d’un tel serrement
Qu’avant que la douceur du jour me soit ravie
Elle s’échauffera de mon enlacement.
La mer, abondamment sur le monde étalée,
Gardera dans la route errante de son eau
Le goût de ma douleur qui est âcre et salée
Et sur les jours mouvants roule comme un bateau.
Je laisserai de moi dans le pli des collines
La chaleur de mes yeux qui les ont vu fleurir
Et la cigale assise aux branches de l’épine
Fera crier le cri strident de mon désir.
Dans les champs printaniers la verdure nouvelle
Et le gazon touffu sur les bords des fossés
Sentiront palpiter et fuir comme des ailes
Les ombres de mes mains qui les ont tant pressés.
La nature qui fut ma joie et mon domaine
Respirera dans l’air ma persistante odeur
Et sur l’abattement de la tristesse humaine
Je laisserai la forme unique de mon cœur.
Anna de Noailles, 1901, Le cœur innombrable, Calmann-Lévy.
Je pousseentre les pierres des murslà oùelles sont poséeslà où elles sont scelléeslà où elles forment des voûteslà je me glissegraine aveugledispersée par le ventdans les fêlures du silenceje prolifère patiemmentj’attends que les murs s’écroulentet retournent à la terreje recouvrirai alorsles visages et les noms1962
Tadeusz Różewicz, 2005, Inquiétude, Buchet/Chastel.
… Quand il eut atteint le doux printempsViril et qu’un duvet crût sur ses joues,Il songea à de possibles noces,A Hippodamie, illustre fille du roi de Pise,Eunomaos, en Elide. Et seul, le long de la mer grise,Dans la nuit noire, il marcha près du flot grondant.Il appela le Maître du puissant trident,Et celui-ci lui apparut, tout proche. Et il lui dit : « Ô Poseidon,Terrible ! Si jamais tu as reçu de moi le tendre donDe l’amour, viens à mon aide !Que mon char vole, et qu’il triomphe, et qu’il précèdeCelui du roi Eunomaos, aux plans atroces !Ce tueur a jeté bas, prétendant après prétendant,Vaincu treize hommes, et ainsi retardeLes noces de sa fille ! Le dangerEst grand et ne veut pas d’un lâche.Mais enfin, puisqu’il faut mourir, dois-je, étrangerA tout espoir, sans que jamais je me hasarde,En quelque coin obscur m’asseoir, vieillir anonyme, sans avoirRien eu de ce qui est beau ? Cette tâcheSi noble est pour moi. Et fais qu’heureuse en soit l’issue !Il dit ainsi et sa prière fut reçue :Il obtint un char d’or, un attelage ailé, immortel.Il vainquit l’insolent roi et mit dans son lit la vierge.Et elle lui enfanta six fils aux vertus sublimes.Et il dort maintenant sur la bergeDe l’Alphée, et le sang des victimesRuisselle sur sa tombe, et les pèlerins à son autel,Viennent en masse…Marguerite Yourcenar, 1979, La Couronne et la lyre, Pindare : Première Olympique, 67-93, Poésies Gallimard.
From A Shropshire Lad, 1887
Frondaisons pourprées
qui vous êtes effeuillées
dans l'eau du torrent
laissez au moins vos reflets
en souvenir de l'automne.
Ryôkan et Teishin, La rosée d'un lotus, 2002, Gallimard.
L’eau est pensivecomme un ciel gris,et le babil des lavandièrescachées par le bambou,voltige doucement sur l’eausans une ride.Le parfum de l’étésoupire et disparaît.Comment le reteniravant qu’il ne s’efface ?Poème chinois
Reste-t-il du temps
pour lui dire,
Mère,
bonsoir,
je suis revenu
avec une balle dans le coeur.
Mon oreiller est là
je veux m'allonger
et me reposer.
Si la guerre
revient frapper à la porte
dites-leur : il est en train
de se reposer.Ghassan Zaqtan, Palestine.
Après une Lecture
A Jean Rabeyrin(dédié, mais non adressé)De ton livre, sans l’avoir lu,J’avais subodoré l’ennui qui m’y consterne.Quelle endurance il m’a fallu !J’en savais tout par cœur : l’Angoisse, l’Absolu,Du moderne ! encor du moderne !« Nous délivrera-t-on un jourDes Grecs et des Romains ? » soupiraient nos grands-pères.Et moi, je soupire à mon tour :« Nous délivrera-t-on de ces coups de tambourObsédants et réglementaires ? »Ce n’est pas que j’en sois encorA mépriser ton vers de n’être qu’une ligne.Tout ce qui brille n’est pas d’or,Et je ne suis pas sûr de mettre MaldororAprès Casimir Delavigne.Mais ta révolte, et ton tourment,Face à l’absurdité du Néant qui t’oppresse,Que c’est vieux ! que c’est assommant !Et ne pourrais-tu pas me dire simplementQuelque chose qui m’intéresse ?Absurde, Néant, Désarroi.J’y suis comme toi-même, et je parviens à vivreSans aller m’en fournir chez toi,Car le pire Néant, c’est celui que je voisSe manifester dans ton livre !Oui, je sais, l’Authenticité.La plongée au Réel, le contact avec l’Être.Nous l’a-t-on assez répété,Sont le chemin royal, unique, incontesté,Qui mène à Re-naître et Con-naître.Et c’est vrai, mais pour Hoelderlin,Rainer Maria Rilke, Orphée ou Pythagore,Lorsque d’un texte sibyllinLes creux sont plus charnus que le plein le plus pleinDe ton inanité sonore.Car, dis-moi, qu’as-tu découvertQui verse en mon esprit des clartés singulières ?Que le ciel est bleu, l’arbre vert,L’existence un problème et le monde un désert :Il pleut des vérités premières !A ce compte-là, j’aimais mieux,Même au prix d’un vers faible et de quelques chevilles,La doctrine de nos aïeux :D’être attentif, adroit, modeste et sérieuxAutant qu’un bon joueur de quilles.Un astre en ton ciel : c’est Rimbaud.Je l’aurais parié. C’est le poncif suprême(Soixante ans de succès bientôt) :Voyance fulgurante et frisson comme il faut :Insolite et toujours le même !Il s’y joint – et c’était fatal –Ton credo sans nuance en des fins politiquesDignes d’un débile mental,Tes slogans, tes fureurs, enfin tout l’hôpitalDes cuistres qui sont fanatiques !« Penseur », et « témoin de ton temps »,On m’avait dit encor que ton lyrisme excelle,En des accès intermittents,A peindre le bonheur, la saveur des instants,Et la tendresse universelle,Que tu chantes les animaux,Les femmes dans ton cœur et les fleurs sur ta route,Et que tu découvres les motsOù butaient avant toi les poètes normauxQue tu n’as jamais lus, sans doute.Eh bien non ! ils s’y prenaient mieux,Car la joie ou l’amour, la détente ou l’extaseSont des sujets tellement vieuxQu’il n’était pas besoin, pour les rendre ennuyeux,De les revêtir de ta phrase.Et de ta phrase, ah ! parlons-en !Bourreau de la syntaxe et du vocabulaire,Pesant, imposant, patoisant,Suffisant, épuisant, mais jamais amusant,A quel sourd-muet peux-tu plaire ?Ah oui ! tu peux t’interrogerSur le sens, la portée et l’ampleur du « message »Qu’il te plaît de nous infliger.Moi, je suis au regret de trouver BérangerAussi profond et bien plus sage.D’abord, son vers était un vers,Ensuite sa pensée, un peu trop ingénue,Se passait des jupons perversQu’il faut faire glisser pour aller jusqu’aux chairsDe la tienne, alors deux fois nue !Je plains mes efforts superflusPour combler d’un vrai vide une fausse lacune.Tous tes vers, je les avais lus.Rentre dans ton Néant, et surtout n’en sors plus,Adieu pour toujours. Sans rancune.Victor Bernard, 1970, En toute innocence, Cerf-Volant.