25 février 2007
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Après une Lecture
A Jean Rabeyrin(dédié, mais non adressé)De ton livre, sans l’avoir lu,J’avais subodoré l’ennui qui m’y consterne.Quelle endurance il m’a fallu !J’en savais tout par cœur : l’Angoisse, l’Absolu,Du moderne ! encor du moderne !« Nous délivrera-t-on un jourDes Grecs et des Romains ? » soupiraient nos grands-pères.Et moi, je soupire à mon tour :« Nous délivrera-t-on de ces coups de tambourObsédants et réglementaires ? »Ce n’est pas que j’en sois encorA mépriser ton vers de n’être qu’une ligne.Tout ce qui brille n’est pas d’or,Et je ne suis pas sûr de mettre MaldororAprès Casimir Delavigne.Mais ta révolte, et ton tourment,Face à l’absurdité du Néant qui t’oppresse,Que c’est vieux ! que c’est assommant !Et ne pourrais-tu pas me dire simplementQuelque chose qui m’intéresse ?Absurde, Néant, Désarroi.J’y suis comme toi-même, et je parviens à vivreSans aller m’en fournir chez toi,Car le pire Néant, c’est celui que je voisSe manifester dans ton livre !Oui, je sais, l’Authenticité.La plongée au Réel, le contact avec l’Être.Nous l’a-t-on assez répété,Sont le chemin royal, unique, incontesté,Qui mène à Re-naître et Con-naître.Et c’est vrai, mais pour Hoelderlin,Rainer Maria Rilke, Orphée ou Pythagore,Lorsque d’un texte sibyllinLes creux sont plus charnus que le plein le plus pleinDe ton inanité sonore.Car, dis-moi, qu’as-tu découvertQui verse en mon esprit des clartés singulières ?Que le ciel est bleu, l’arbre vert,L’existence un problème et le monde un désert :Il pleut des vérités premières !A ce compte-là, j’aimais mieux,Même au prix d’un vers faible et de quelques chevilles,La doctrine de nos aïeux :D’être attentif, adroit, modeste et sérieuxAutant qu’un bon joueur de quilles.Un astre en ton ciel : c’est Rimbaud.Je l’aurais parié. C’est le poncif suprême(Soixante ans de succès bientôt) :Voyance fulgurante et frisson comme il faut :Insolite et toujours le même !Il s’y joint – et c’était fatal –Ton credo sans nuance en des fins politiquesDignes d’un débile mental,Tes slogans, tes fureurs, enfin tout l’hôpitalDes cuistres qui sont fanatiques !« Penseur », et « témoin de ton temps »,On m’avait dit encor que ton lyrisme excelle,En des accès intermittents,A peindre le bonheur, la saveur des instants,Et la tendresse universelle,Que tu chantes les animaux,Les femmes dans ton cœur et les fleurs sur ta route,Et que tu découvres les motsOù butaient avant toi les poètes normauxQue tu n’as jamais lus, sans doute.Eh bien non ! ils s’y prenaient mieux,Car la joie ou l’amour, la détente ou l’extaseSont des sujets tellement vieuxQu’il n’était pas besoin, pour les rendre ennuyeux,De les revêtir de ta phrase.Et de ta phrase, ah ! parlons-en !Bourreau de la syntaxe et du vocabulaire,Pesant, imposant, patoisant,Suffisant, épuisant, mais jamais amusant,A quel sourd-muet peux-tu plaire ?Ah oui ! tu peux t’interrogerSur le sens, la portée et l’ampleur du « message »Qu’il te plaît de nous infliger.Moi, je suis au regret de trouver BérangerAussi profond et bien plus sage.D’abord, son vers était un vers,Ensuite sa pensée, un peu trop ingénue,Se passait des jupons perversQu’il faut faire glisser pour aller jusqu’aux chairsDe la tienne, alors deux fois nue !Je plains mes efforts superflusPour combler d’un vrai vide une fausse lacune.Tous tes vers, je les avais lus.Rentre dans ton Néant, et surtout n’en sors plus,Adieu pour toujours. Sans rancune.Victor Bernard, 1970, En toute innocence, Cerf-Volant.